40ième anniversaire du Centre Alkalema

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40ième anniversaire du Centre Alkalema
40ième anniversaire du Centre Alkalema
40ième anniversaire du Centre Alkalema

La nécessité du dialogue islamo-chrétien.

Intervention du Pr. Jamal Habbachich lors du 40 ième anniversaire du Centre Alkalema ( centre chrétien pour les relations avec l’islam ).

Notre Seigneur a dit :« Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété»

Le prophète Mohammad (Pbdl) , disait : « Celui qui ne remercie pas les gens, n’a pas remercié son Seigneur » . la reconnaissance est un principe fondamental , permettant le respect et la considération entre les êtres humains, et notre Seigneur miséricordieux aime les fidèles pleins de gratitude. Aujourd’hui nous sommes réunis pour célébrer les quarante ans du centre AL KALEMA . Centre qui travaille pour le dialogue islamo-chrétien, qui a toujours été le premier à contacter, à tisser des liens avec les acteurs musulmans, imams et responsables de mosquées . Ce soir, je témoigne et je rends hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont animé et dirigé ce centre, et qui continuent encore à être des acteurs, des émissaires et des facilitateurs de rencontres et d’échanges entre musulmans et chrétiens. Le frère Lode Vermeir puisse Notre Seigneur bénir son âme, puis sœur Marianne Goffoel, Christian deduytschaever Régis Close qui sont parmi nous ce soir, et d’autres frères et soeurs . On a partagé d’agréables moments, d’échanges de conseils dans un esprit d’ouverture de respect et d’honnêteté. C’est vrai , la disponibilité d’un tel centre et le fait qu’il soit consacré au dialogue islamo-chrétien lui donne ce privilège.
C’est un plaisir pour moi, de partager mon témoignage avec mes frères et sœurs présents à cette rencontre d’amour et d’échanges, ce vendredi, 16 novembre 2018 , qui coïncide cette année avec la semaine qui commémore l’anniversaire de notre noble prophète Mohammad sws.
Le dialogue interconvictionnel en général et islamo-chrétien en particulier est
devenu une nécessité au sein de notre société belge. Ce travail est sollicité auprès de tous les responsables religieux et les fidèles adhérant aux différentes religions et convictions reconnues, pour préserver la paix entre nos concitoyens, notre vivre ensemble, notre bien-être. L’être humain est honoré par Le Seigneur. Allah dit dans le saint Coran : «Certes, Nous avons honoré les fils d’Adam. …. et Nous les avons nettement préférés à plusieurs de Nos créatures» Sourate 17 Verset 70.
Notre Seigneur nous a crée pour l’adorer, toute la vie d’un croyant musulman est prières : son regard, sa marche, ses gestes, son sourire son travail , ses invocations, ses engagements ….. Nous vivons notre foi et notre spiritualité dans toutes nos actions quotidiennes, il suffit d’être conscient et averti.
Ma vie à Bruxelles, mes expériences me rappellent souvent le prophète Mohammad (PBSDL). Chrétiens, musulmans et juifs ,nous partageons la même foi en notre Seigneur, l’Eternel .
Premier exemple :Mohammad (PBSDL) reçoit une délégation des chrétiens de Najrane du Yemen qui parlait en arabe ( 63 prêtres et évêques) , venus de très loin pour dialoguer, discuter et partager leur foi , leurs expériences et comprendre l’esprit de l’islam révélé à Mohammad sws. Une rencontre, où on avait parlé de théologie, de foi de pratiques de rites, et de cérémonies. Le dimanche, les frères chrétiens diront, Mohammad, c’est le jour de la messe, on veut prier. Alors le prophète leur répond sans hésiter, on vous libère la mosquée, aujourd’hui, vous priez ici, vous êtes nos invités nos frères. Après trois jours d’hospitalité, de débats, d’échanges et de partage, ils se sont dit, à une prochaine rencontre, sans avoir de consensus sur toutes les questions abordées, il y a eu des divergences. Il faut regarder au-delà de ces différences, car on peut partager tellement d’expériences et de moment de spiritualité.
Deuxième Exemple : Dès l’arrivée du prophète de l’islam à Médine, tous les citoyens médinois sont venus à sa rencontre, pour enfin découvrir et faire connaissance avec celui qui se nommait Al amine , dernier Messager du Seigneur. Juifs, chrétiens, polythéistes, agnostiques, musulmans… regardaient le prophète Mohammad sws. Alors, ce dernier va prononcer un court discours clair et lucide : « Ô citoyens, Ô habitants de cette cité, Médine , Répandez la paix et la sécurité entre vous, donnez à manger à ceux qui ont faim et ceux qui sont dans le besoin, Parlez et dialoguez avec douceur et sérénité, sans violence, ni agressivité et ni contrainte honorez les liens de parenté, priez la nuit alors que les gens dorment, vous entrerez au paradis en paix. »
Comment peut-on bâtir ensemble un projet de société qui garantit à un chacun sa liberté, sa dignité sa conviction et sa sécurité ? Comment agir ensemble pour libérer nos pensées, nos regards, nos préjugés, nos jugements ?
Je suis professeur de religion musulmane et aussi imam ayant donné le prêche du vendredi et des conférences sur l’islam, sur la diversité, le rapprochement entre les différentes communautés religieuses et philosophiques à Bruxelles et en Wallonie. Au cours de ces trois décennies, j’ai eu l’occasion et le privilège de débattre et de partager mon expérience et mon approche de la vie, avec les imams, les prêtres, les rabbins , les laïcs. Aujourd’hui , je vais brièvement vous relater mon modeste parcours, mes rencontres et mon partage avec mes sœurs et mes frères musulmans et chrétiens que j’ai rencontré, que j’ai aimé, avec qui j’ai travaillé, collaboré et investi durant ces trente dernières années.
Trois décennies de travail sur trois axes : comme enseignant de l’islam dans les écoles officielles, comme responsable de la mosquée Attadamoune à Molenbeek Saint-Jean et aussi comme témoin et acteur associatif ayant participé à des dizaines de projets et actions interreligieux et interconvictionnels.
Vu mon métier, ma formation et mon projet de société, j’ai entamé depuis 1985 mes premières rencontres et échanges avec des prêtres à Schaarbeek et à Saint-Josse, puis à Charleroi et enfin à Bruxelles depuis 1992, surtout à Molenbeek, à Anderlecht et à Bruxelles-Ville. Malgré les difficultés et les réticences des uns et des autres, le manque de volonté et de courage des deux côtés, on a continué à chercher des partenaires des bâtisseurs de ponts, des femmes et des hommes, chrétiens et musulmans capables de travailler ensemble, de communiquer d’aller vers l’autre de reconnaitre l’autre dans sa conviction, sa culture , ses pratiques et sa différence sans le juger ni l’ignorer. Des femmes et des hommes de convictions , capables de travailler bénévolement, de donner un peu de leur temps de leur patience et de leur courage.
Le premier travail au sein des écoles officielles , au début des années quatre-vingt dans le cadre des cours de religion et de morale non confessionnelle , j’ai partagé mon travail avec des collègues, professeurs de religion catholique , souvent on s’adressaient à nos élèves ensemble pour partager avec eux des moments privilégiés , plusieurs thématiques étaient abordées :les croyances, les valeurs humaines, l’au-delà , la justice, la pauvreté , la charité…. Les deux religions catholique et musulmane se rejoignent , et les élèves étaient sensibilisés sur l’importance de la fraternité dans la diversité et le pluralisme au sein de notre société.
Dans les mosquées de Bruxelles, j’ai commencé comme simple fidèle fréquentant ces lieux de prières, travaillant pour sensibiliser les fidèles sur l’importance de la compréhension des finalités de l’islam et de l’ouverture vers l’autre. Ce qui n’est pas évident pour tous, dans des lieux fermés, reprenant le schéma traditionnel des mosquées des villages du Maroc d’où avaient émigré cette première génération d’émigrants , venus de loin pour travailler. Après plusieurs tentations, la solution était de créer avec des amis la mosquée Attadamoune en 1993, une révolution et surtout donner un nouveau souffle aux fidèles et leur faire découvrir la nature de l’islam, son universalité , son ouverture et surtout tracer la ligne du juste milieu prônée par le prophète Mohammad (Pbsdl) .Cette mosquée est reconnue et offre des services aux fidèles , aux croyants et aux non-croyants , aux visiteurs, aux écoles aux institutions demandeuses.
Au début des années 2000 , a commencé une étape importante dans le rapprochement entre les mosquées et les églises à Bruxelles, les imams et les prêtres , et là encore le centre Al Kalima pour les relations islamo-chrétien a joué un rôle fondamental. Des rencontres dans les mosquées et dans les églises ont été organisées. On a impliqué un nombre important de mosquées et de paroisses dans ce dialogue qui a duré quelques années. Des conférences-débats ont été organisées, une excursion regroupant des imams et des prêtres, comme ,une journée pour visiter l’abbaye de tongerlo et aussi la maison d’Abraham à Gent.

D’autres acteurs vont participer activement à ce travail de longue haleine, le
rassemblement des musulmans de Belgique, le groupe Axent, le conseil consultatif des mosquées de Molenbeek .

On citera ici la participation de ces organisations à la semaine islamo-chrétienne du mois de novembre durant ces dix dernières années. Sans oublier le voyage interreligieux que le rassemblement des musulmans de Belgique a organisé en partenariat avec le centre Al Kalima, et une délégation de rabbin au Maroc en avril 2014, qui a permis à la délégation de découvrir le travail des institutions marocaines pour faciliter le rapprochement entre les différentes communautés religieuses du pays. On avait visité les mosquées, les églises et les synagogues. On a organisé des prières célébrées ensemble par les différentes communautés. La délégation a visité l’université Alqarawiyyine à Fès, le centre de formation des imams à Rabat, le musée juif de Casablanca, le siège du conseil supérieur des oulémas du Maroc, les deux cathédrales de Rabat et de Casablanca. Dans un esprit d’ouverture et de respect, le royaume du Maroc est en avance par rapport à d’autres pays.
Aussi le travail laborieux de rapprochement entre les communautés à Molenbeek Saint-Jean et là aussi , le centre Al Kalema est membre du groupe interconvictionnel de notre commune. Chrétiens, juifs, musulmans et laïcs travaillent , partagent leurs expériences du vivre ensemble .
Le dialogue islamo-chrétien , réalités, perspectives et avenir.
Dialoguer pour dialoguer n’a plus de sens, s’il n’est pas suivi d’actions concrètes, d’activités faisant intervenir, les fidèles, les citoyens, les adultes et les plus jeunes. L’école est un modèle de mixité sociale, où le vivre ensemble est une réalité concrète, les jeunes se côtoient se parlent, partagent leurs savoirs. À l’opposé les adultes qui restent distants et méfiants les uns envers les autres, parfois dans la même communauté. D’où la nécessité de travailler localement, entre mosquée et église du quartier de la même commune par exemple, de se connaître, de se concerter d’avoir des contacts permanents. Surtout partager ensemble des moments de joies mais aussi de douleurs. Il est fondamental de descendre sur le terrain et de vivre avec ses voisins, ses proches et les citoyens qu’on rencontre tous les jours. Durant le mois de ramadan par exemple, la vie des citoyens belges de confession musulmane change, ils s’ouvrent sur l’extérieur, leur foi leur dicte le partage, le respect et l’amour du prochain. Malheureusement, cette période de spiritualité et paix intérieure s’estompe petit à petit après le mois du jeûne. De même pour les fêtes chrétiennes, qui sont partagées et relatées au sein des familles musulmanes. J’avais un rêve, que j’ai réalisé, une fois, une année (1993) , c’est d’avoir réuni les imams et les prêtres de ma commune de Molenbeek, huit prêtre et sept imams, dans ma mosquée Attadamoune, pour célébrer la naissance de Jésus que la paix et le salut soient sur lui. Ce fut une grande réussite et j’espère réitérer cet évènement dans un avenir proche.
Il y a tellement d’initiatives , de démarches simples et accessibles à tous qui nous unissent , qui peuvent nous rapprocher. Se parler, se saluer, s’entraider faire connaissance , participer ensemble au bien-être dans nos quartiers…Beaucoup de dignitaires religieux musulmans et chrétiens restent souvent loin de la réalité du terrain, un discours du vendredi ou une messe du dimanche ne peuvent rien changer sans actions concrètes et sans gestes quotidiens permettant la proximité avec les concitoyens croyants et non-croyants, avec la primauté de l’humanité de la personne et de sa dignité.
L’avenir ne dépend que de notre volonté à nous tous, de faire un pas vers l’autre , de sortir de la sphère de la méfiance vers celle de la confiance mutuelle et d’avoir le courage d’accepter la différence de « supporter » l’autre , surtout de la reconnaissance et du respect de l’autre. La réussite de tout projet ou perspective d’avenir dépend de la sincérité dans nos relations, surtout dépasser le stade des complaisances et des réunions annuelles qui tombent dans les oubliettes quelques semaines après. C’est très difficile de parler de perspectives d’avenir, on vit souvent au rythme des conflits internationaux importés et véhiculés par certains médias provocateurs et incitateurs à la haine et au rejet de l’autre. Malgré toutes ces difficultés, il y a toujours de l’espoir, le courage de nombreux citoyennes et citoyens de toutes les confessions et les convictions, qui ont franchi la barrière de la peur et qui veulent construire ensemble notre bien-être et notre vivre ensemble dans le respect et dans la dignité de chacun. Votre présence ce soir témoigne de cette volonté de vivre et de semer des graines de paix et d’amour.
Revenons aux perspectives pour l’avenir des relations islamo-chrétiennes,
Il est à relever , que malgré les efforts de certaines organisations et institutions musulmanes et chrétiennes pour lancer des projets de dialogue, de mouvement pour la paix et la solidarité et de rapprochement entre les deux communautés, beaucoup d’initiatives et de projets en cours échouent, et aboutissent à une impasse , du fait de la propagation de courants et de discours radicaux et violents. Aussi l’émergence du racisme et du populisme en Europe et en Amérique du nord. D’où la nécessité d’une nouvelle lecture de toutes ces expériences , procéder à une critique objective et constructive pour trouver ensemble de nouvelles méthodes et stratégies d’actions adaptées pour anticiper et préparer des actions communes pour l’avenir .
Un travail de fond attend les institutions chrétiennes et musulmanes, pour généraliser et vulgariser le dialogue islamo-chrétien, et signer des accords et des chartes pour affronter ensemble les défis qui nous attendent.
La critique constructive nous permet d’être plus concrets et plus pragmatiques. Surtout permettre la continuité des expériences en cours qui donnent des résultats et veiller à les améliorer localement pour les adapter aux changements sociaux et politiques au sein de notre société.
Arrêtons-nous un moment de réflexion, pour une remise en question de ce que nous prétendons, de revoir nos idées, nos projets. Dans le but de reformuler nos souhaits et nos méthodes de travail, du fait de l’énormité et de l’ampleur du défi qui nous attend. De nombreuses voix tentent de réduire notre foi notre spiritualité notre humanité à une petite sphère privée et effacer notre empreinte, nos efforts pour la paix sociale et le vivre ensemble. Chers frères et sœurs, une nouvelle vision s’impose pour pouvoir donner un sens à notre foi et à notre apport social et spirituel. La diversité est une richesse pour notre société, une valeur ajournée permettant à un chacun de vivre sa liberté, ses choix, sa dignité et son intimité dans un espace social commun à tous, notre société belge. La religion est capable de donner un sens , une spiritualité, un élan d’humanité aux citoyens et semer des graines de paix et d’amour au sein de notre société, Merci pour votre patience.
Jamal Habbachich

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